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Discours de S.A.R. le Grand-Duc pendant la visite d'Etat du couple présidentiel irlandais à Luxembourg

Madame la Présidente, M. le Dr McAleese,

Permettez-moi d'abord de vous souhaiter en mon nom et au nom de la Grande-Duchesse une cordiale bienvenue au Luxembourg. Votre visite s'insère dans le droit fil des rencontres au plus haut niveau ayant eu lieu entre les représentants de nos deux pays depuis bien des années. Inutile de vous répéter combien la Grande-Duchesse et moi-même, ensemble avec toute notre délégation, avions en mars 2002 apprécié votre hospitalité et l'accueil chaleureux dans votre beau pays. Cette visite nous a laissé un souvenir mémorable.

Demain nous aurons l'occasion de renouer in situ avec notre visite effectuée au Trinity College à Dublin. Nous y avions pu admirer non seulement le fameux Livre de Kells, mais également une exposition temporaire de fac-similés impressionnants provenant du monastère bénédictin fondé par St. Willibrord à Echternach. Dans cette ville pittoresque nous espérons pouvoir vous montrer que l'influence de l'Abbaye fondée par ce moine - parti de l'Irlande en 690, bientôt appelé "Apostle to the Frisians" avant d'être sacré premier archevêque d'Utrecht, pour finalement trouver son dernier repos à Echternach en 739 - dépasse de loin le Moyen-Âge. Ainsi cette année encore quelque treize mille personnes y ont activement participé à la traditionnelle procession dansante qui remonte à St. Willibrord et fait partie de notre patrimoine religieux et culturel.

Madame la Présidente,

Vous personnifiez à vous seule toutes les forces et valeurs traditionnellement attribuées à vos compatriotes: courage, persévérance, droiture et ouverture d'esprit.

Vous êtes le premier Chef d'Etat de l'Irlande originaire de l'Irlande du Nord. En votre qualité d'enseignante et de professeure au Trinity College à Dublin et à la Queen's University de Belfast vous avez inculqué à des générations de jeunes étudiants vos idéaux et votre infatigable engagement en faveur de la tolérance, de la non-discrimination, de la démocratie, des droits de l'homme et de l'Etat de droit. Par votre exemple vous avez encouragé vos compatriotes à lutter contre toute forme de racisme, de haine et de violence. Encore récemment, en juin 2009, dans l'enceinte du Conseil de l'Europe, vous avez courageusement exhorté les cadres de la société d'être, surtout en temps de crise, "the absorbers of uncertainty, the galvanisers of hope", alors que "too many people have a strong feeling that those engaged in politics, administration, business and law are pursuing self-interest rather than the common good". Votre voix claire et sans ambages porte loin. Elle mérite une écoute attentive.

Madame la Présidente, M. le Dr McAleese, Excellences, Mesdames, Messieurs,

Un peuple ayant adopté la harpe pour emblème national doit nécessairement être imprégné de musique, de poésie, de chant et de danse. Qu'il suffise de mentionner les Jonathan Swift, Laurence Sterne, Oscar Wilde, James Joyce à côté des quatre prix Nobel de littérature, William Butler Yeats, George Bernard Shaw, Samuel Beckett et Seamus Heaney pour souligner le prestige énorme de la littérature d'origine irlandaise, sans rapport direct avec l'importance numérique de sa population. L'Irlande a connu et continue d'avoir une histoire riche et mouvementée. Son peuple courageux et déterminé n'a jamais définitivement renoncé et s'est toujours obstinément débattu pour rester maître de sa destinée. C'est souvent dans l'adversité et la détresse qu'il a su donner sa mesure en redressant une situation que d'autres à sa place auraient été tentés de donner perdue et sans espoir.

Les Accords de paix du Vendredi saint (The Good Friday Agreement), conclus le 10 avril 1998, en constituent une illustration éclatante. Ils marquent une nouvelle étape "for relationships within Northern Ireland, between North and South, and between Britain and Ireland" et furent adoptés par voie référendaire avec une majorité confortable et de façon concomitante dans toutes les parties de l'Irlande le 22 mai 1998. Quelle belle leçon de courage et de confiance dans l'avenir que cet attachement solennel, "to the achievement of reconciliation, tolerance, and mutual trust, and to the protection and vindication of the human rights of all". Cette réconciliation relancée par le St. Andrews Agreement du 13 octobre 2006 reste un exemple susceptible de servir de source d'inspiration et d'espoir pour toutes les régions de notre planète secouées par des conflits armés ou submergées par la haine.

Tout au long de son histoire l'Irlande ne s'est jamais laissé abattre. Même la Grande Famine des années dix-huit cent quarante n'a pas définitivement réussi à décourager une population pourtant durement éprouvée. En effet pendant cette période 1,7 million d'habitants risquaient le tout pour le tout en s'aventurant sur la traversée de l'Atlantique dans l'optique de commencer une nouvelle vie aux antipodes de leur patrie. Cette émigration vertigineuse - hommes, femmes et enfants - provoquait à l'époque une véritable hémorragie démographique, sans précédent dans l'histoire. De nos jours on compte encore quelque quarante millions de descendants de ces émigrés aux Etats-Unis, dix millions au Canada et en Australie. En voilà une des explications de l'influence considérable du peuple irlandais dans le monde.

Le Luxembourg a également connu au 19e siècle une vague d'émigration dramatique qui lui a fait perdre jusqu'à un tiers de sa population. Je puis donc vous assurer que nous avons parfaitement compris le sens du message que vous, Madame la Présidente, avez délivré devant l'Assemblée parlementaire à Strasbourg en juin dernier en rappelant que: "In Ireland a period of high economic growth and prosperity brought many migrants to our shores reversing a centuries-old pattern of outward migration from Ireland. We know enough about being discriminated against in our own land and in every land we emigrated to, to have a special sensitivity to the challenges facing our new citizens".

Madame la Présidente,

Vous avez mille fois raison d'en appeler à notre générosité. Il nous faudra rester attentifs à la misère du monde qui ne doit pas être considérée comme une fatalité. Gardons l'esprit et le cœur ouverts en vue de réussir à façonner une société plus juste, plus solidaire, plus cohérente mais aussi plus optimiste.

L'Europe a retenu son souffle avant que l'Irlande, à une très grande majorité, ne soit venue approuver le Traité de Lisbonne, signalant de la sorte le démantèlement d'un des obstacles majeurs qu'il reste à vaincre avant la ratification de ce traité. L'enthousiasme présuppose toutefois bien davantage qu'un texte. Il faut une part de rêve, un idéal, un grand projet. L'Union Européenne doit rester ce phare d'espoir tout en respectant l'identité de chaque nation.

Que le tigre celtique et le lion luxembourgeois se mettent ensemble pour donner une nouvelle impulsion, un nouvel élan à l'œuvre communautaire, certes perfectible mais unique sur la Planète.

Excellences, Mesdames, Messieurs,

C'est dans cet esprit que je vous prie de lever votre verre pour vous joindre à moi pour boire à la santé de Madame la Présidente d'Irlande et du Dr McAleese, à la prospérité du peuple irlandais et au renforcement de l'amitié entre nos deux pays dans une Europe en paix, confiante et résolument tournée vers l'avenir.