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Interview de S.A.R. la Grande-Duchesse : Visite au Bangladesh

09.04.2003

En sa qualité d'Ambassadeur de Bonne Volonté de l'UNESCO, S.A.R. La Grande Duchesse du Luxembourg s'est rendue au Bangladesh pour inaugurer un projet de l'UNESCO : «Briser le Cycle de la pauvreté des Femmes». Elle a également pu rencontrer le professeur Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank – la banque des pauvres – à l'origine des micro-crédits.

Nous avons pu suivre en exclusivité cette aventure merveilleuse où toute la sincérité et la générosité de Maria Teresa du Luxembourg ont pu réconforter les populations rencontrées.

Propos recueillis par Eric Bazin pour Saola

Eric BAZIN : « Tout d'abord, Madame, si vous me le permettez, je souhaitais savoir comment s'était déroulée votre nomination en 1997, en qualité d'Ambassadeur de Bonne Volonté de l'UNESCO ? »

S.A.R. La Grande Duchesse de Luxembourg : « Mme Giscard d'Estaing m'avait conviée à une grande conférence à Paris, organisée en 1995 dans le cadre de son œuvre pour l'enfance. Il s'agissait de réunir des femmes engagées dans une œuvre sociale ou d'aide humanitaire. Chacune d'entre nous devait travailler sur un thème précis. J'avais choisi de traiter de la violence outrancière à la télévision et sur internet. Je proposais la constitution d'un observatoire européen pour étudier ce problème. A la suite de mon discours, j'ai rencontré Federico Mayor, à l'époque directeur de l'Unesco. Et quelques années plus tard, il me proposait de devenir Ambassadeur de Bonne Volonté à l'UNESCO. Notre proximité linguistique, il est catalan et je suis d'origine cubaine, nos racines culturelles communes, mes désirs de m'atteler à ce type de problème m'ont immédiatement permis de répondre positivement. J'ai par la suite choisi de travailler sur l'éducation des femmes et des jeunes filles, en particulier dans les pays pauvres. En 1998, je réalisais mon premier voyage au Bangladesh, où j'ai fait la connaissance du Professeur Yunus, initiateur des micro-crédits, une démarche cruciale et inédite car sans équivalent pour éradiquer la misère. »

Eric BAZIN : « Quand Son Altesse Royale, le Grand Duc Henri, explique qu'il souhaite trouver son propre style de gouvernance, ajoutant, régner est une affaire de couple, jusqu'où l'exercice du pouvoir s'entend-il à deux ?

S.A.R. La Grande Duchesse du Luxembourg : « A deux à 1000 % ! Quand nous étions à l'université en Suisse, nous discutions déjà ensemble de la manière d'éradiquer les fléaux qui frappent l'humanité. Je ne me suis pas investi dans mes études de sciences-politique pour me diriger vers la diplomatie ou la politique, mais je voulais être une voix pour ceux qui n'en ont pas ! Régner est effectivement une affaire de couple. Cela signifie tout pour nous. La lourdeur de la tâche d'un Chef d'Etat, est allégée par sa quête de l'épouse idéale pour l'accompagner dans les responsabilités du pouvoir. Il faut soutenir son mari et compléter son action. Cela ne signifie en aucune façon une égalité totale mais la fonction du Grand Duc a des limites, et c'est là que j'interviens, comme un prolongement naturel de son action. »

Eric BAZIN : « Pourquoi ce second voyage au Bengladesh ? »

S.A.R. La Grande Duchesse du Luxembourg : « Quand Madame Sayeeda Rahman, en charge à l'UNESCO du projet « Briser le Cycle de la pauvreté des Femmes » - Empowering Adolescent Girls : Breaking the Poverty Cycle of Women - m'a demandé de parrainer son projet qui couvre le Bangladesh, l'Inde et le Népal, je n'ai pas hésité une seconde à m'engager. Il est parfois difficile de faire appliquer sur le terrain les merveilleuses idées qui naissent à l'UNESCO. J'avais promis à Sayeeda de m'engager dans ce domaine qui est le mien. C'est chose faite. L'éducation semble si évidente pour nous, Occidentaux, mais dans ces régions, il en va tout autrement. »

Eric BAZIN : « S'il ne fallait retenir qu'une image de ce périple à travers le Bengladesh, quelle serait-elle ? »

S.A.R. La Grande Duchesse du Luxembourg : «Toutes ces femmes que j'ai rencontrées avec le Professeur Yunus et qui ont pu bénéficier de micro-crédits grâce à la Grameen Bank, sont aujourd'hui les mamans de jeunes gens de 18 ou 20 ans, dont certains font des études universitaires ! Ils ont exprimé en ma présence et de manière touchante leur reconnaissance pour leurs mères,leurs pères et toute leur communauté. C'est une réussite indéniable du concept du professeur Yunus. »

Eric BAZIN : « Pourquoi, Votre Altesse Royale, cette attention toute particulière pour ces jeunes filles dans les villages »

S.A.R.La Grande Duchesse du Luxembourg : « Elles avaient toutes des regards curieux, joyeux et en même temps très sombres. Pour toutes ces femmes qui mourraient de faim, ou étaient battues parfois à mort avant que n'intervienne le professeur Yunus, ce qui comptait, c'était ce que je leur transmette l'espoir de changer de vie. De se dire que quelqu'un vient de si loin pour elles leur semble si incroyable. Elles ont le courage de parler de leur souffrance avec une dignité royale ! Avec la plus grande concentration de la population la plus pauvre du monde et 71% ( 625 millions ) de la population analphabète mondiale, dont la majorité sont des femmes, la pauvreté en Asie du Sud, et en particulier au Bengladesh, prend un visage féminin. Ce sont des initiatives comme le projet de l'UNESCO – dont on trouve d'autres programmes pilotes en Inde, Népal et Pakistan – qui permettent d'éradiquer cette spirale vicieuse de la pauvreté. »

Eric BAZIN : « Pourriez-vous nous décrire le projet de l'UNESCO et de Madame Sayeeda Rahman ? »

S.A.R. La Grande Duchesse du Luxembourg : « Il s'agit avant tout d'éradiquer la misère en milieu rural en éduquant les jeunes filles de 12 à 18 ans. Un personnel compétent les sensibilise sur la connaissance de leur corps. Au niveau des familles très pauvres, il y a un héritage évident des traditions. Une meilleure connaissance de l'hygiène, de la manière de se nourrir est prodiguée. Dans le respect de la culture de chacun, ce programme vise à propager auprès des plus défavorisés, l'éducation, la science et la communication dans le respect de la culture de chacun. J'ai interrogé une adolescente de 13 ans, lui demandant quel serait le mari idéal. Elle m'a répondu, un homme bon, croyant, qui ne boit pas et qui ne fume pas ! Trop de jeunes filles pâtissent d'une violence conjugale profonde. Certains hommes fument du hashis toute la journée à en perdre raison, il faut combattre ce fléau. Au fur et à mesure que le niveau de vie sur un plan économique évolue, les femmes permettent de réduire un taux de natalité parfois excessif. Plus de 1000 jeunes filles de 12 à 18 ans sont concernées par ce magnifique projet de l'UNESCO au Bengladesh. Depuis le lancement de ce programme, plus de 64% des participantes savent aujourd'hui lire, écrire et compter jusqu'à 100 ! »

Eric BAZIN : « D'où vient, Madame, votre amitié avec le Professeur Muhammad Yunus ? »

S.A.R. La Grande Duchesse du Luxembourg : « Mon approche à l'égard de cet homme merveilleux a toujours été très personnelle. Lors de mon premier voyage en 1998 au Bengladesh, j'ai eu le plaisir de rencontrer cet homme exceptionnel. Il m'a expliqué la réussite de son initiative de la banque des pauvres – la Grameen Bank – et m'a proposé de revenir visiter un village bénéficiant de ses micro-crédits. Je voudrais ajouter que Muhammad Yunus ferait un candidat idéal pour le Prix Nobel de la Paix. Évidemment il œuvre dans l'économie, mais il mérite la reconnaissance suprême du Prix Nobel de la Paix…Je suis convaincue qu'il obtiendra cette distinction ! »

Eric BAZIN : « Et cette amitié avec Bibi Russell ? »

S.A.R. La Grande Duchesse du Luxembourg : « J'ai assisté au premier défilé à Londres de Bibi en 1998. C'était l'année de la grande crue au Bengladesh, et cette femme admirable m'a touchée par son combat pour les tisserands de son pays. Son attachement pour ces villageois sinistrés nous a bouleversé. De plus, Bibi est la sœur de Sayeeda Rahman, responsable du projet dont j'ai la charge au Bengladesh ! De plus, à chacune de nos rencontres Bibi m'offre des saris de toute beauté que je ne manque pas de porter au Palais Grand Ducal. »

Eric BAZIN : « Ne regrettez-vous, votre Altesse Sérénissime, de ne pas pouvoir partager ces moments exceptionnels avec votre mari, S.A.R. le Grand Duc Henri ? »

S.A.R. la Grande Duchesse du Luxembourg : « Sans aucun doute ! Mon mari me manque atrocement dans un voyage comme celui-ci. Le Grand Duc m'a tout appris. Je me souviens d'un de mes premiers voyages après le Bengladesh, au Mali, en 2001. Je voyageais en compagnie de notre ministre de la Coopération, Monsieur Goerens. Le voyage avait été passionnant mais je regrettais l'absence du grand Duc. De retour à Luxembourg, je me suis empressée de mettre sur pied pour nos 20 ans de mariage, un voyage très privé au Mali…C'était merveilleux ! »

Eric BAZIN : « Qu'allez-vous, Madame, à votre retour à Luxembourg, raconter à vos 5 enfants ? »

S.A.R. La Grande Duchesse du Luxembourg : « J'essaierais de ne rien oublier, tout ce que j'ai vu, les personnes merveilleuses rencontrées au fil du séjour. Chacun de ces voyages représente une éducation de vie. Le Grand Duc et moi-même avons pour habitude d'éduquer nos enfants dans le partage et la découverte de l'autre. De retour du Bengladesh, une attention toute particulière sera donnée à Alexandra, notre fille de 12 ans, car je lui parlerais du sort et des responsabilités des petites filles de son âge dans ce pays si pauvre. Dans chacune des écoles du Luxembourg, les enseignants sensibilisent les enfants sur les voyages que je réalise pour le compte de l'UNESCO. Nos enfants sont très sensibles.

Ils possèdent cette dimension d'entraide. Guillaume, l'aîné est parti au Népal avec les scouts du Luxembourg pendant trois semaines. Il devait construire une aire de jeux pour les enfants d'un village. Félix, 19 ans, est parti avec son école pendant 10 jours en Inde. Quant à Louis, il a passé trois semaines en Inde aussi. Avec un bus de ramassage scolaire, il recueillait des enfants abandonnés dans la rue pour leur donner des cours de lecture et d'écriture. De ces voyages, nos garçons sont revenus différents. Ainsi on devrait arriver à en faire des hommes. »